Trevor Jones, otomo de Maître Noro

Trevor Jones et Masamichi Noro sensei à l’aéroport de Londres

Dans l’ombre d’un Maître, les pratiquants les plus discrets sont parfois ceux qui auraient le plus à dire. De tous les disciples de Maître Noro Masamichi, Trevor Jones est bien connu des Aikidoka anglais des années 1960-70.

L’histoire de l’Aikido anglais remonte aux années 50. Kenshiro Abbe sensei, que Maître Noro surnommait l’Empereur du Judo, avait rencontré au Japon Osensei et débute la transmission de l’Aikido en 1955. A cette époque le dojo The Hut fondé par Kenneth Williams à Londres reçoit les pionniers européens de l’Aikido: Tadashi Abe, Mutsuro Nakazono et Noro Masamichi. C’est sur ce tatami que sera formé la génération des premières ceintures noires d’Aikido en Angleterre. Et c’est dans ces années que Trevor Jones débute jeune enfant le Judo et l’Aikido.

1957 – Dojo the HutKenshiro Abbe et Kenneth Williams au premier rang

Novembre 1963 démonstration au Royal Albert Hall de Londres
Masamichi Noro 6ème dan Aikido – Haku Michigami 7ème dan Judo – Kenshiro Abbe 8ème dan Judo – Mitsusuke Harada 5ème dan Karate – Mutsuro Nakazono 7th dan Aikido – assis, Masutaro O’Tani 7ème dan Judo

1965 – Masamichi Noro sensei et Kenneth Williams sensei au Dojo de Kazuo Chiba sensei à Londres, Trevor Jones au 2ème rang

1967 – Noro Masamichi sensei – uke Chiba Kazuo sensei

Années 60 – Asai Katsuaki – Noro Masamichi – Kenneth Williams – au Dojo The Hut

Le 4 mai 1966 Maître Noro Masamichi est victime d’un grave accident de voiture au retour d’un stage à San Remo. C’est dans son temps de convalescence que Trevor Jones se rend à Paris. Maître Noro reprend de façon éparse ses enseignements en région parisienne. Voyant sa détermination, il se résout à le prendre sous son aile. Peu de gens savent aujourd’hui qu’à ses côtés, il reçoit entre 1966 et 1967, un entrainement du quotidien en qualité d’otomo – disciple au service du Maître. Plus jeune, Masamichi Noro avait reçu ce type de formation au contact d’ Osensei.

En 1967, Trevor Jones rentre en Angleterre, son temps de formation auprès de Maître Noro prend fin. Tout en œuvrant à l’ouverture de son premier Dojo, il travaille comme steward d’une compagnie aérienne. Il peut ainsi voyager à travers la planète et en profite pour se rendre la même année au Hombu Dojo de l’Aikikai de Tokyo. Le Centre Mondial de l’Aikido est en pleine construction, mais l’ancien dojo traditionnel est toujours en service lors de son séjour. Plus tard, il se verra remplacer, début 1968, par un bâtiment flambant neuf de 4 étages. Durant ses séjours, Trevor Jones fait partie des rares occidentaux à avoir eu le privilège de s’entrainer sous la direction du fondateur de l’Aikido Morihei Ueshiba.

Fin 1967, Trevor Jones en uke lors d’une de ses visites à l’Aikikai à l’entrainement de 6h30 (archives personnelles de Trevor Jones)

1971 – The Hut Dojo – Stage à Londres – Noro Masamichi sensei – uke Trevor Jones – koshiwaza

La force de Trevor Jones est certainement ce qui a fait sa réputation dans les années 70. John Trevor témoigne que chacun de ses voyages à travers le monde a été une occasion d’en découvrir plus sur son Maître.

Dereck Eastman, un ancien compagnon d’Aikido formé avec lui au fameux Dojo « the Hut » témoigne qu’à son retour de France, Trevor Jones ouvre son Dojo et lui demande de l’aide pour assurer la continuité lors de ses déplacements fréquents. Il le décrit comme bien différent à leurs retrouvailles: « Son Aikido était résolument monté d’un cran. Bien que son entrainement et ses techniques soient restés traditionnels, il avait de très loin les mouvement d’Aiki les plus puissants que je n’ai jamais rencontré, ceci incluant les japonais. » En France, de tous les disciples français de Maître Noro, certains noms sont régulièrement cités lorsqu’il s’agit de force ou de puissance: Aymard de Lestrange, Michel Vilage ou encore Régis Borel. C’est ce dernier qui décrit encore aujourd’hui en 2025 Trevor Jones comme d’un tout autre niveau.

Au Japon, les visites de Trevor Jones laissent des tracent. Kenji Shimizu shihan, uchideshi d’Osensei nous raconte qu’un jour alors qu’il était dans le bureaux du Hombu Dojo, un jeune instructeur s’extrait du cours qu’il donne et vient l’interpeller. En cause, un jeune anglais bloque tous les Yudansha par la force de sa saisie, le laissant lui-même dans l’incapacité de faire le moindre mouvement. Kenji Shimizu se rends alors sur le tatami et se laisse surprendre par l’incroyable force de celui qui n’est autre que Trevor Jones. Ayant pratiqué le Judo, il parviendra à se défaire de cette délicate situation. La situation musclée mènera finalement à la l’invitation de Kenji Shimizu à Paris, au Dojo de la rue Constance et bien sûr au Moulin Rouge à deux pas du Dojo.

1968 – Entrée du Dojo de la rue Constance, premier Dojo Européen dédié à la pratique de l’Aikido

Odyle Noro-Tavel témoigne qu’à sa rencontre avec Maître Noro en 1969, Trevor Jones, surnommé « John John » était déjà retourné en Angleterre. Il se déplaçait malgré tout très régulièrement en France. Maître Noro lui présente Trevor Jones comme un être essentiel à sa vie, bien différent des autres instructeurs, comme un membre de sa famille.

INTERVIEW DE TREVOR JONES 2016

« Je trouve personnellement que Maître Noro, votre père, était un homme doué à la fois de puissance et de gentillesse. Un autre mot qui me vient en pensant à lui est énigmatique. Lorsque Maître Noro vint en Angleterre au milieu des années 60, j’étais encore adolescent. Il se dégageait de lui une grande gentillesse comparé aux autres Maîtres de Budo que nous avions l’habitude d’accueillir.


A la proposition de notre professeur monsieur Kenneth Williams, Maître Noro eut le choix de loger à l’hôtel ou dans notre maison, option qu’il préféra toujours. Il aimait résider chez mes parents, et ma mère ne cessait de me dire à quel point il était gentleman. Durant les stages, il avait l’habitude de montrer quelques mouvements de Judo aux enfants avant le début des cours pour adultes.

Années 60 – Noro et Asai sensei en démonstration pour les enfants

Durant une de ses visites, Maître Noro dit à monsieur Williams que si j’apprenais un petit peu le français, il m’inviterait à Paris. Il m’entraînerait jusqu’à ce que je devienne professionnel en Aikido. J’ai patienté jusqu’à la fin du lycée, mais aucune lettre n’est arrivée.

C’est ainsi que j’ai rejoint la marine marchande et fait un voyage. A mon retour, je parvins à récupérer l’adresse d’un professeur d’Aikido plus âgé du nom de Nakazono sensei. J’ai alors pris un billet de ferry de nuit pour me rendre à Paris, j’ai trouvé une auberge de jeunesse YMCA, puis j’ai trouvé le Dojo.

Un des élèves français me demande alors ce que je fais là. Ce à quoi je lui réponds : « Je cherche Noro sensei ». Il me répond qu’il avait une petite idée sur le lieu dans lequel il peut être le soir même. C’est ainsi qu’il m’amène dans un café et que nous le trouvons. Maître Noro me demande alors où se trouvent mes bagages et nous sommes directement partis en train pour Bruxelles.

A Bruxelles, je me souviens que Maître Noro a enseigné dans ce magnifique Dojo (Budo Collège Belge – Cercle Julien Naessens) rue Royale qui se situait au quatrième étage. Avec le Dojo, il y avait un café et un restaurant tous la propriété de Monsieur Naessens. Durant le stage, Maître Noro transmettait les 16 formes de l’Aikido qu’il a partagé à travers l’Europe et l’Afrique. Ce système permettait aux étudiants d’Aikido d’assimiler plus aisément les techniques de projection et d’immobilisation. Cette approche était méconnue des enseignants japonais.

Masamichi Noro sensei au Budo College Belge – uke Régis Borel

Durant notre séjour, il m’explique pourquoi il ne m’avait pas fait parvenir d’invitation. Apparemment, au retour d’un de ses stages, il serait entré dans un autre véhicule avec sa voiture. Il m’explique qu’au moment de l’impact, avec la force de ses bras sur le volant, il a pu tenir et ainsi briser son siège qui bascula vers l’arrière et lui permit de justesse d’éviter la décapitation. Après l’accident, il a été dans l’incapacité de bouger son bras gauche pendant quelques temps. Les éclats de verre du pare-brise ont ouverts son cou et le haut de son corps en de multiples endroits du haut de son corps. Il a dû rester à l’hôpital 3 mois.

Voiture accidentée de Masamichi Noro, le 4 mai 1966, au retour de San Remo, sa voiture passe sous un convoi exceptionnel

C’est toujours à Bruxelles qu’il me dit que je peux rester avec Monsieur Naessens qui m’apprendra à bien faire fonctionner un Dojo ou que je peux retourner à Paris pratiquer avec lui. Dans mon esprit, il n’y avait aucun choix. Tout avait été décidé bien des années auparavant à Londres.

Julien Naessens, Masamichi Noro et Katsuaki Asai à Chambery en 1966

Nous rentrons à Paris où il avait une petite chambre, au rez-de-chaussée d’une cour, possédée par un pilote d’Air France dont la femme tenait un café de l’autre côté de la rue. A mon arrivée, Maître Noro me dit que nous avons besoin d’une chambre plus grande avec un espace pour cuisiner qu’il trouve. La chambre lui coûtait 1 franc français par jour, il n’y avait pas de chauffage, uniquement de l’eau froide et les toilettes, à l’extérieur étaient très basiques. La chambre se situait à Colombes dans la rue Charles de Gaulle. Nous étions à deux arrêts de bus du métro Clignancourt.

Je me souviens que la première fois, que j’ai fais ma lessive, tous mes vêtements ont été volés. Votre père m’a rhabillé.

Tous les matins, il me donnait 10 francs français pour acheter de la nourriture au marché du coin où j’achetais « Viande Hachée », « Légumes » et « du Riz ». Puis je passais nettoyer ses tenues. Dès l’aube, il me laissait pratiquer avec des barres en métal comme on le ferait normalement avec un bokken, un shinai ou un jo. Pendant ce temps, Maître Noro écrivait et planifiait sur des feuilles à carreaux, pendant qu’il buvait un café et fumait ses cigarettes préférées de la marque Kent.

Plus tard dans la journée, nous nous promenions jusqu’à ce qu’il soit temps pour lui d’enseigner dans des établissements variés. Lorsque le cours était fini, nous retournions à la maison où il m’apprenait à cuisiner à la façon japonaise ce que je faisais chaque jour, excepté le mercredi où nous allions au restaurant couscous Chez Bébert. Tous les soirs, il m’invitait à m’occuper de son bras endommagé et à mesure que je m’améliorerais, il me transmettait ces détails qui constituaient les techniques. La plupart des dimanches, nous partagions la compagnie de français ou de japonais.

Lorsque je suis rentré en Angleterre, j’ai continué mes va-et-vient avec Paris.

1969 Dojo de la rue Constance – 1er etsunen geiko
1er rang: Takahashi sensei – Noro sensei – Tada sensei – Asai sensei
2ème rang au centre: Michel Bécard – Gérard Blaise – Trévor Jones

J’ai un fort souvenir du Grand Festival pour l’ouverture de l’Aikikai de Paris, au dojo de la rue Constance, entre le Moulin Rouge et la Place des Tertres. Puis, c’est durant le stage d’été de 1969 que j’ai vu pour la première fois votre mère Odyle à Fréjus.

1969 – Odyle Noro Tavel et Masamichi Noro se rencontrent à Fréjus

C’est à cette époque que je me suis marié avec ma petite amie de longue date qui pratiquait aussi l’Aikido. Je garde encore aujourd’hui un souvenir fort de cette époque et particulièrement de la première visite de Maître Noro et Odyle en Angleterre. »

Début des années 70, Trevor Jones reçoit le 3ème dan, plus haut grade jamais remis par Maître Masamichi Noro

Odyle Noro Tavel, Masamichi Noro, John Trevor dans l’ombre et Haydn Foster, pionnier anglais de l’Aikido

Début des années 70 – Brookwood Aikido Kai fondé par Trevor Jones (3ème) – Dereck Eastman – Colin Relph

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