Nous avons le plaisir de partager une interview exceptionnelle de Georges Lamarque shihan (1931-2023) tirée d’échanges entre 2009 et 2012 avec Takeharu Noro soke. À travers ses souvenirs et atteint de la maladie de Parkinson, Lamarque shihan est alors en pleine rédaction de son ouvrage, Du Zen au Kinomichi (1961-2012) Les six dojos de Noro Sensei, au fil du temps vrai. Il délivre dans l’interview un témoignage rare, vibrant d’authenticité et de gratitude.

Georges Lamarque, Kinomichi shihan
Lamarque shihan rencontre Maître Masamichi Noro en 1968, à l’époque où le Maître se remet d’un grave accident de voiture. Il devient rapidement instructeur de l’institut Noro et suit Masamichi Noro sensei pendant plus de 4 décennies chaque semaine dans ses dojos parisiens. Il ouvre la section de Joinville-le-Pont et marque des générations de pratiquants par la qualité et la sincérité de son cheminement. Au décès de Maître Noro il accompagne avec cœur la nouvelle génération des pratiquants de Kinomichi du Centre International. Sa dernière transmission sur les tatamis du stage d’été de Montcenis en 2018 laisse un fort souvenir.
Georges Lamarque rencontre Maître Noro
GL: J’ai débuté l’Aikido en 1962 chez Maître Nocquet. Il avait été le premier français uchideshi de O’sensei de 1955 à 1958. Un jour, Maître Nocquet me dit : « Faîtes beau et l’efficacité viendra en prime ». Je suis donc parti chez le Maître de la beauté du geste, Maître Noro. Entre ces deux hommes il y avait un courant qui passait, quoi qu’il s’en disait d’ailleurs. Je témoigne de cela. Les gens se sont mis entre eux pour les louvoyer, mais je crois qu’ils étaient très proches.

André Nocquet, entouré des jeunes pratiquants du Hombu Doojo de Tokyo
Tamura Nobuyoshi, Noro Masamichi, Asai Katsuaki, Kobayashi Yasuo, Yamada Yoshimitsu
Maître Noro était d’ailleurs chargé d’accueillir Maître Nocquet lors de son arrivée au Japon chez Maître Ueshiba. Du petit matin jusqu’au soir ils ont vécu dans l’ancien dojo de l’Aikikai de Tokyo. Ce sont des liens que l’on ne peut pas oublier naturellement. Maître Nocquet dormait dans une chambre à part, c’était un invité de marque.
Maître Nocquet parlait il souvent de Maître Ueshiba ?

Osensei Morihei Ueshiba et André Nocquet
Oui, beaucoup. Par exemple nous il disait : « Lorsqu’un adversaire vous menace, ouvrez lui votre cœur. » J’ai retrouvé les mêmes aspects de Maître Ueshiba chez Maître Nocquet et chez Maître Noro. Ils avaient une vibration identique. Une même parenté. Et pourtant Maître Nocquet était un peu plus âgé à cette époque.
Peux-tu nous décrire ton premier jour chez Maître Noro ?

Facade du Dojo de la rue Constance 1968
J’ai remonté la rue Lepic. J’ai pris à gauche, la rue Constance. Au 4, il y avait une petite boutique, un sabre sur son support et au-dessus un portrait de Maître Ueshiba. A côté, il y avait une photo de Maître Noro dans un mouvement de projection. C’était extraordinaire. Je suis monté la gorge évidemment un peu serrée. La première fois que j’ai senti la présence de Maître Noro fût spéciale. Il n’était pas dans la pièce et je regardai un cours.
Ma présence en tant qu’observateur avait été acceptée je ne sais plus comment. D’un seul coup, mon regard a évolué, l’atmosphère a changé. J’ai senti sa présence et me suis retourné. Oui, il était là. Il était en dehors du dojo vers le bureau d’accueil et il fumait. A l’époque j’étais très contracté sur le plan de la macrobiotique. J’aurai du dire : « Mais ce n’est pas possible ! », mais j’avais déjà vu sa démonstration auparavant et je savais qu’il maîtrisait son Art. Je sentais qu’il définissait une façon moderne d’être un Maître.

Maître Noro au Dojo de la rue Constance – uke Takahashi
Je suis revenu pour suivre mon premier cours. Je me souviens que quelqu’un m’a accueilli et le temps que j’arrive au vestiaire, Maître Noro m’avait rejoint. Je me souviens lui avoir expliqué que j’étais hakama. C’était un petit peu fou car ce n’était pas évident d’arriver avec un hakama d’ailleurs. Il m’a alors dit, lorsque l’on porte un hakama on ne le retire jamais, mais il n’a pas toujours dit cela par la suite (rire). Il fallait donc que j’assume le port de mon hakama.
Il y avait un silence solennel dans le dojo. C’est une dimension très importante de la transmission de Maître Noro. Il avait une particularité dans le regard : noir et d’une douce fermeté. Lorsqu’il vous regardait c’est comme si vous étiez seul et en même temps, lui pouvait voir tout le groupe, d’une telle clarté et d’une telle évidence. Cela lui permettait d’avoir accès à un éventail d’actions très large au niveau pédagogique. Sa transmission ne pouvait que nous fasciner.

1969 – Stage au Dojo de la rue Constance
J’avais donc un hakama « d’ailleurs », et ce fût tout une histoire lors de mon premier cours. Il y en avait quelques un qui étaient quelque peu contractés. Je suis entré dans le dojo un peu inquiet pour tout dire. Finalement, le climat était accueillant. J’ai vite compris que nous n’étions pas là pour nous amuser. Nous cherchions un parfum, le parfum de l’Ikebana. C’était ce que j’étais venu chercher d’ailleurs. Je voulais moi-même m’initier à une telle approche après la pratique plutôt sportive à laquelle j’étais habitué. C’était un parfum d’extrême Orient qui était là. Honnêtement, ce sont des souvenirs formidables.
La pratique de l’Aikido avec Maitre Masamichi Noro
Chez Maître Noro j’ai découvert une toute autre chose. J’ai découvert « l’espace ». C’est tout la mentalité japonaise qu’il y a derrière « l’espace ». Quand je l’ai compris, cela m’a beaucoup aidé. Il y avait une respiration particulière aussi. Pourtant Maître Noro ne nous a jamais donné d’indications pour respirer. Il y a beaucoup de systèmes de respiration mais Maître Noro n’insistait pas sur les techniques. Nous avons vite compris qu’il fallait que nous prenions l’air qu’il nous fallait pour respirer, ce dont notre corps avait besoin. Pour Maître Noro, nous devions trouvez « le moment », la solution naturelle à chaque instant.

1970 – Maître Noro et Maître Asai au Marcadet Palace
Est-ce ce que tu décris lorsque tu parles du « temps juste » dans ton livre ?
Oui c’est cela, j’ai employé l’idée de la recherche du « temps vrai ». Parce qu’il y a un « temps faux ». « Juste », c’était juste aussi, mais cela aurait été plus limité. J’ai pensé « vrai » car il y a le « faux » et ça c’est très important. On retrouve le faux dans notre vie de tous les jours, dans nos excès par exemple. J’enfonce une porte ouverte et je sais que tout le monde le sait. Mais c’est tellement fort qu’il me faut en parler.
Qui étaient les pratiquants du Dojo de la rue Constance à cette époque ?
Des premiers temps de pratique, tous mes compagnons de route sont partis. Il y avait Méchard, Bécard, Emeriau, Virginet, Lebreton. Mais tous ont suivi une autre voie. Il y avait aussi Dominique Balta que j’avais connu chez Maître Nocquet en tant que chargé d’enseignement pour les débutants. Il est aussi devenu l’assistant de Maître Noro à un moment donné, au même titre plus tard, dans le Dojo de la rue de Petits Hôtels, que Raymond Bisch, Daniel Toutain, puis Daniel Martin.

1969 – Listes des Instructeurs de l’Institut Noro au Centre de la rue Constance et en Province
Mais Maître Noro a connu beaucoup de désertions de pratiquants. A mon avis, tout cela était voulu. Maître Ueshiba lui-même à chaque fois qu’il changeait de dojo devait tout recommencer. Maître Noro observait donc les gens s’éloigner dans le silence. Il était un homme d’évolution et ces énergies devaient le gêner pour avancer.
C’est une attitude d’engagement profond pour l’Art. Une histoire de dosage. Il devait faire des choix. Lorsqu’il a quitté le Dojo de la rue des Petits Hôtels, il savait que certains ne pourraient pas vivre l’évolution vers le Kinomichi. Il a donc laissé le choix à ses élèves de rester avec Daniel Martin pour la pratique de l’Aikido ou alors de le suivre dans cette nouvelle aventure. C’était très clair, ceux qui voulaient pratiquer l’Art pour sa dimension martiale était libre de rester. Les autres, en pleine conscience, le suivraient. Dans l’ensemble, je ressens que ce qui devait être a finalement été.
Les Dojos d’Aikido de Maître Noro
Que dire du Dojo de la rue Constance 1968-1972?
Houlà. C’était un peu sinistre si je puis dire. Il y avait comme une sinistrose à l’image de ce jeune pratiquant macrobiote, fin et le visage grave. Il y avait comme une peur permanente et peu de place pour la joie. Malgré cela, une chose était très positive. Maître Noro avait eu son accident de voiture quelques années auparavant. Il s’était remis je pense, mais il n’avait pas encore retrouvé toutes ses capacités et tout son potentiel. Dans son attitude il nous montrait comment retourner à la vie. Les plus anciens pouvaient le voir car ils étaient au courant de l’affaire de ce terrible l’accident. Mais l’atmosphère était malgré tout un peu sinistre.

Cours d’instructeurs de l’Institut Noro en 1970
Asai sensei, Noro sensei et Takegaki sensei
Maître Asai n’était pas du tout étranger à cela. Maître Noro était adulé à un moment donné. A son arrivée en France, il avait tout de suite créé plus de 200 sections. Puis lui arrive cette horreur, et tout d’un coup, plus personne autour de lui. Sauf Maître Asai, leur amitié est extraordinaire.
En septembre 1969, il y avait une jeune femme brune qui était là, au téléphone avec Maître Noro et me dit : «Maître Noro vous confie le cours de bokken. ». Il me confiait un cours à moi. Quelle peur ! J’avais devant moi, la ligne et l’arrière ligne des anciens qui me regardaient. Moi qui venais de chez Maître Nocquet, assurer le cours de bokken, ce n’était pas évident. Heureusement, durant le salut, Maître Ueshiba était là dans son portrait et m’a donné du courage.
Maître Noro en savait toujours plus sur les gens qu’ils pouvaient eux même le voir ou le croire. Même sur les tierces personnes, il déposait sa vision si particulière. Les choses qu’il faisait ou disait étaient toujours riches d’enseignements mais surtout très humaines.

Kamiza du Dojo de la rue Constance
Puis le dojo a déménagé dans la rue de Petits Hôtels 1972-1981?
Nous n’étions seulement qu’une douzaine de pratiquants du dojo de la rue Constance à suivre Maître Noro. Nous sommes arrivés fin 1971 rue des Petits-Hôtels. Au début, il y avait un relâché de certains qui était épouvantable. Mais Maître Noro le savait certain partiraient je pense. Le problème est qu’ils sont partis en emmenant d’autres avec eux. Cette mauvaise éducation est plus gênante. Mais peu à peu au fil des années, l’essor s’est produit. En 3 ans le dojo était reconstruit. Puis c’est avec l’arrivée de Gisèle de Noiret et de Marie Thérèse Foix, deux kinésithérapeutes que le dojo s’est véritablement transformé. Elles partagèrent beaucoup avec Maître Noro. Les choses ont évolué et c’est là que tout est reparti.
L’ambiance était extraordinaire aux Petits Hôtels. C’était une salle de concert privée dotée d’un cubage important. On y respirait bien. Il y avait quelque chose d’enchanteur à mon avis. La construction était du XIXème siècle et la verrière qui nous servait de plafond était pleine de lumière. J’ai beaucoup aimé ce dojo.

Démonstration rue des Petits Hôtels – années 70
Les gens sont donc arrivés quand l’ambiance a changé. Comme je disais nous n’étions qu’une poignée à suivre Maître Noro dans ce dojo, peut-être par fidélité. Mais en même temps il y avait comme une nostalgie de certains liée à ce que Maître Noro voulait quitter. De jour en jour, nous nous en éloignions et cela pouvait gêner. Finalement, lorsque ceux qui devaient partir nous ont quitté, l’ambiance s’est améliorée.

Démonstration d’Aikido avec Michel Vilage
Les démonstrations à la salle Pleyel
Il a aussi eu différentes présentations à la salle Pleyel. Une en 1974, une en 1977 et une en 1981. En 1974, la démonstration fut un peu ratée pour moi. J’étais encore un peu jeune dans le groupe et j’avais une partenaire qui l’était encore un peu plus. Nous étions 6, trois groupes homme/femme. Cela s’intitulait « Pratique féminine ». On était censé se placer en triangle et nous n’avions que très peu répété pour dégager cette pureté. Maître Noro s’était placé sur le côté pendant les répétitions. Avec lui, l’énergie du groupe de rejaillir spontanément et naturellement.
Mais sans répétitions, nous n’avions pas les automatismes nécessaires, ce qui fait qu’au bout d’une minute nous étions tous les uns sur les autres, c’était épouvantable. A un moment il nous a dit : « Oui. Ça va, merci. ». Alors nous est sorti de scène. Mais finalement, nous l’avons fait. Plus tard, il m’a dit : « Ça a été, ça a été. » très gentiment. Mais j’ai compris qu’il me fallait travailler. Il était très patient.


Programme de la démonstration à la salle Pleyel en 1977
La deuxième démonstration fut différente. J’avais un bon partenaire qui s’appelait Guy Hayat. Il était musicien de Jazz. Il était très souple et très disponible. Le programme s’appelait « Projection et Immobilisation ». Il y avait avec nous un autre duo avec Max Bir avec Georges Jean. Eux faisaient immobilisations et nous faisions les projections. Je l’ai bien projeté, tout c’est bien passé.
La troisième démonstration fut la grande, l’importante. Nous accompagnions Sensei pour présenter au tout Paris un superbe cadeau, le Kinomichi. C’était formidable d’avoir été là. Tous les instructeurs étaient sur scène avec lui et il avait eu le courage de montrer Initiation 1. Cela ne bougeait pas beaucoup alors les gens commençaient à se disperser. Il l’a fait quand même, c’était extraordinaire. Montrer ces mouvements, ces étirements, le pied levé, mais surtout le mouvement du corps, l’unité… C’était magnifique. Après ce jour, plus rien n’était pareil. La position était prise de façon définitive.
Le Kinomichi
De 1976 à 1978, quelque chose s’est passé. Les choses commençaient subtilement à bouger. Un mot par ci, un autre par là. Puis, c’est en 1979 que les techniques ont évoluées : Itten et Niten sont apparus, et puis se sont mis en place Ichi, Nichi. Au bout de 3 ou 4 mois de cette pratique, nous nous sommes sentis étrangement beaucoup mieux. Beaucoup mieux dans le propos. Le Kinomichi prenait racines.

Maître Noro, uke Daniel Martin – 2ème mouvement de ciel, niten
Le talon s’est soulevé mais ce changement est trop évident. A partir de ce moment, il y avait une prise en compte de tout le corps, des talons à la nuque. Le reste du corps devait être souple et sans crispations. Surtout pas de raideurs ! Nous recherchions des étirements illimités du corps vers l’avant et vers le ciel, des positions globales du corps, ouvertes vers l’infini. Les postulats martiaux du monde ancien évoluaient, la notion d’attaque et d’engagement au sacrifice de sa vie disparaissait au profit de la recherche d’un engagement total du corps. C’est cela qu’il faut retenir aujourd’hui.

Puis le Dojo a déménagé rue Logelbach. Pleyel avait eu lieu 18 mois auparavant, à peine. Le Kinomichi était officialisé au tout Paris. J’ai une impression formidable de cet endroit. Un appartement impressionnant de 300 mètres carrés devant la rotonde du Parc Monceau, avec tous ces meubles luxueux. Je garde en souvenirs la visite de la mère de Maître Noro. C’était une toute petite dame qui était charmante. Il y a aussi eu celle de sa sœur qui était cantatrice. Tout ceci était extraordinaire. Il nous partageait sa famille avec gentillesse.
Sans parler de toutes ces fêtes formidables, tous ces bals. Un évènement était organisée par un Maître de cérémonie du thé. Une personne lui demande : « Mais comment avez-vous obtenu le silence » et nous répond : « Mais c’est vous qui avez fait ce silence ».
Il y avait deux dojos. Un petit de 50 mètres carré dans lequel les instructeurs pouvaient transmettre à tour de rôle. J’avais la charge d’un cours d’initiation 1. J’ai toujours joué le jeu de m’en tenir au programme même si certains me disaient : « Mais moi, je les fais bouger les miens ». Ce n’était pas l’esprit je pense.

Kinomichi – contact uke Céline Gaulthier
En Kinomichi Maître Noro nous a introduit au mouvement de « contact ». Extraordinaire ! Le contact avec main sur main, de face et étirements. Nous grandissions et avions l’impression de ressentir l’infini. Lorsque l’on fait « contact » avec quelqu’un, il est impossible de le considérer comme un adversaire. Pour Maître Noro, c’était gagné.
Alors, certains ne comprenaient pas et pouvaient dire : « Tu sais je ne comprends pas, pour moi le contact, ce n’est pas technique. ». Mais je pense au contraire que c’est bien plus technique que n’importe quel enchainement de mouvement. Car qu’est-ce que la technique finalement ? C’est une bonne question à poser. Il y a une technique pour bien aligner le corps aussi, pour trouver l’équilibre. C’est une technique tellement riche et humaine. Quelque chose de nouveau.
La transmission du Kinomichi
A cette époque, Maître Noro ne parlait pas beaucoup. Il nous montrait, nous observait et adaptait. J’ai une anecdote intéressante à propos de la première manière de l’Initiation 1. Il nous avait indiqué de pratiquer avec le pied avant plutôt refermé vers l’intérieur lorsque nous nous engageons vers l’avant en tant que uke. C’était beau, magnifique. A un moment donné, nous avions tous le pied tellement tourné qu’il rectifia la direction. L’échange corporel est une dimension majeure de son enseignement.

Maître Noro en première forme d’approche, uke Martine Pillet
Il nous regardait beaucoup. Il évoluait dans un creuset dans lequel il cherchait des choses et sans lequel il n’y arriverait pas. C’est pour cela que je défends la dimension française de l’esprit du Kinomichi puisqu’il a fait cela avec des Français. Peut-être est-ce le hasard, mais enfin, le fait est là.

Terre-Ciel
Il y a quand même eu un certain ordre dans la transmission des mouvements. Le fameux Niten deuxième manière, que j’admire beaucoup. Ce mouvement était d’une telle beauté. Personne ne dit plus cela, mais je dis cela à haute et intelligible voie, c’est le dernier mouvement qui a été mis au point et cela n’est pas par hasard. Un pur chef d’œuvre ! Avec Ichi première manière évidemment.
Son enseignement a évolué avec le temps. A un moment donné, certains ont douté et se sont dit : « On rigole bien, mais où est la tradition dans tout cela ? ». Mais nous ne rigolions pas, en fin de compte. Nous travaillions en profondeur. Bien sûr, Maître Noro aimait plaisanter, mais il y avait un juste rythme dans l’échange. Il n’aimait pas bavarder 107 ans, mais il aimait le rire. C’était bien. Comme si il voulait laisser aux choses leur importance mais sans en rajouter.
Au dojo, c’est de nous-même dont nous cherchions la trace. Et si cela ne passait pas dans la vie, il n’y avait pas un grand intérêt. Lui faisait très bien passer cela dans la vie justement.

Stage à Andernos années 80
Quelle image t’inspire le Kinomichi ?
Tant pis, je vais le dire… Deux danseurs (rires). Je me mouille. Je sais bien que Maître Noro adorait la danse, la valse. Mais le Kinomichi n’est pas que de la danse. Je dois aussi parler du travail avec instruments au jo et celui avec le bokken sur lequel je suis un peu plus circonspect. Le message de Maître Noro m’a tellement touché que le mot « arme » peut rendre les choses confuses. Il avait une préférence pour la canne d’ailleurs, qui est plus anonyme que le sabre du point de vue de l’arme.
J’en avais parlé avec Maître Asai qui m’a expliqué que Maître Ueshiba avait interdit l’utilisation des armes à un moment donné, ce que Maître Noro avait confirmé. Il a ajouté qu’il y avait un des compagnons de leur promotion qui enseignait à travers le monde sans les armes. Personnellement j’adore le bokken et le jo pour ce que l’on fait à soi-même. Mais pour les autres, c’est un peu différent. Il y a une ambiguïté qui traine, alors qu’au contact du corps, c’est très différent.

Noro Masamichi et Asai Katsuaki
La Trace du Maître
La façon dont il transmettait m’a beaucoup travaillé. Il avait plutôt le côté souriant et détendu de l’homme qui est heureux de vivre. Le message est là. Son attitude a vraiment évoluée de l’époque où nous pratiquions l’Aikido. Il était aussi attentif à ce que chacun ne se prenne pas trop au sérieux mais soit présent aux autres. Tous ceux qui ont compté et calculé sont passés à côté de quelque chose de fort. De toutes ces trajectoires de vies, je retiens que c’est la joie et le bonheur qui compte.
Maître Noro m’a confirmé des données que j’avais prises ailleurs mais qui étaient mal installées. Il m’a donné un sens de l’engagement, un sens du respect de moi-même, d’être droit, mais aussi un sens de la culture française et internationale. Son outil était le corps. Un formidable purificateur. Il nous prenait, tout dégrossi ou mal dégrossi que nous étions et nous refaçonnait. Mais en tant que Maître, nous développions avec lui l’instinct du respect juste. Nous ne devions pas faire de simagrées pour rien.
Une fois, il m’a dit, ça ne va pas vous. Je ne m’en rendais pas compte mais je venais de chez moi avec mes soucis. Il m’a dit : « Ça ne va pas vous, vos épaules ». Je n’ai jamais oublié cela. Maintenant, je me tiens autrement. Certaines chose que nous portions du quotidien ne devaient pas être montrées. Il m’a dit que Maître Ueshiba ne montrait jamais alors qu’il était portant passé par des passages de souffrance important.

Masamichi Noro et Georges Lamarque à l’Abbaye de l’Arbesles – années 80
Il avait un grand sens du tempo et aimait les choses en mouvement. Dès que les choses dérivaient, comme la tradition par exemple, il savait les reprendre en main.
On peut aussi dire que Maître Noro était aussi très orgueilleux. Je pense partager cela avec lui. Je crois qu’orgueil est le mot juste. C’est un moteur qui pousse à la réalisation. Sans orgueil, c’est très difficile de se dépasser. Je repense par exemple, lorsque le ministre des Sports lui a proposé le diplôme d’état, il n’a accepté qu’à la condition que ses instructeurs le reçoivent aussi. Et le ministre a cédé. C’est un orgueil bien placé, je dirais.

1975 – Liste des 31 Brevets d’Etats BE2 d’Aikido attribués aux Instructeurs de l’Institut Noro
Avec tout ce cheminement, très peu de pratiquants sont restés auprès de Maître Noro au final. Maître Noro était un chercheur. Dès qu’il trouvait quelque chose, c’est qu’il avait modifié des données et ceux qui étaient avec lui, ses compagnons le comprenaient en vivant la transformation.
Il n’était pas du tout les mains mises sur les gens, mais ceux qui le suivaient, vivaient la vie de la même façon en quelque sorte. C’est pour cette raison que nous restions à ses côtés. Il m’avait dit « Vous êtes hakama d’ailleurs, avec moi, pratiquez pour être un autre hakama. » Mais il n’utilisait pas le système des grades dan et cela lui a causé aussi beaucoup de ruptures avec ses élèves qui y portaient une grande importance.

Georges et Simone Lamarque à l’Abbaye de l’Arbresles
Maître Noro nous a appris beaucoup de choses sur la vie, comme un guide en comportement. Je pense qu’il nous a fait retrouver notre dignité. Nous l’avions déjà en nous mais peut-être l’avions nous oubliée.
Quel était le rêve de Maître Noro ?
Oui, l’unité. La pureté dans l’unité. Celle d’un engagement total et d’une intention pure. C’est ce qu’il recherchait tout le temps. Il nous a raconté qu’il ne l’avait trouvé qu’une ou deux fois. C’est curieux, car cette expérience s’était aussi présentée à son Maître nous a t-il dit.

Maître Noro Masamichi – Contact Terre-Ciel avec Marie Chiron
Qu’elle serait pour toi la finalité de cette pratique ?
Je ne sais pas. Toute ma vie je me suis dit que j’écrirai et finalement c’est aujourd’hui que je le fais. Et j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui écrit. Comme s’il était là.
Cela s’est déjà fait à une époque avec Socrate ?
Ah oui ! Je sais bien cela (rire).
Et que penses-tu du Kinomichi de demain ?
C’est toi ! Je ne te rate pas, c’est toi. Ça, tu le sais. (rires) »

Georges Lamarque shihan et Takeharu Noro soke au Korindo Dojo en 2019
TOUTES LES INTERVIEWS
GISELE DE NOIRET Partie 1 – De l’Aikido au Kinomichi – 1970 à 1989
TREVOR JONES Trevor Jones, otomo de Maître Noro – 1957 à 1975
GEORGES LAMARQUE Partie 1 – La pureté du chemin – 1968 à 2013
NORO MASAMICHI
1999 – L’ESPRIT DE LA VOIE
PARTIE 1 – La rencontre avec Osensei
PARTIE 2 – La vie auprès d’Osensei
PARTIE 3 – La propagation de l’Aikido
PARTIE 4 – La filiation
PARTIE 5 – L’engagement du Maître
2003 – LE MOUVEMENT UNIVERSEL DU KI
PARTIE 1 – Jeunesse au Japon et Aïkido
PARTIE 2 – Genèse du Kinomichi
PARTIE 3 – Les principes du Kinomichi
2008 – UN HOMME EN PAIX
PARTIE 1 – Jeunesse et Aikido
PARTIE 2 – Pionnier de l’Aikido
PARTIE 3 – Le Kinomichi