Luc Boussard: Dans ses racines spirituelles, l’Aikido est rattaché au bouddhisme, au shintoïsme ?
L’homme aime créer des frontières. Le piège de l’homme est de créer ces frontières. Chacun s’écrit:« Je suis bouddhiste ! Je suis shintoïste ! Chrétien ! Musulman ! ». Ces injonctions ne sont que des frontières. Tous les aïkidokas doivent être réunis comme une grande famille. Il y a trop de dispersion. L’homme, la nature et l’univers doivent s’harmoniser. Ensemble pour l’expire, ensemble pour l’inspire. C’est l’homme lui-même qui crée la séparation.
Observez ce qui s’est passé après le décès de maître Ueshiba. Tant de monde s’est prétendu être son successeur. Mais l’Aikido appartient à la famille Ueshiba. L’Aikido est le trésor de la famille Ueshiba. La succession se fait dans la famille Ueshiba. Le fondateur le voulait ainsi. C’est la conception japonaise. Même si je consacre ma vie à l’Aikido, je ne peux pas dire « je suis un successeur ».
Je succède comme disciple. Maître Ueshiba disait : « Voilà mon fils » quand il me présentait à des invités. Mais je ne suis pas son fils. Un fils spirituel oui, mais pas du tout un successeur. Lorsque j’ai quitté l’Aikido, mon premier principe a été : « Il ne faut pas toucher le trésor ». Alors, je n’ai pas employé le mot Aikido une seule fois pendant 15 ans. Lorsque qu’Osensei est décédé, j’ai parlé avec le fils Ueshiba. Je lui ai dit que j’étais un pratiquant d’Aikido, mais je ne lui ai pas dit : « Je suis un successeur ». Pourtant je suis resté tant d’années auprès de son père. Je suis fier d’avoir eu cette chance. Qui a vécu ce que j’ai vécu avec le fondateur ? Personne. Et pourtant je ne dis pas : « Je suis le successeur ».
J’ai changé le nom de ma pratique pour l’appeler Kinomichi. À partir du moment où j’ai quitté l’Aikido, je n’ai plus touché au nom Aikido. Mais lorsque j’ai reparlé avec le fils Ueshiba plus tard, j’ai compris qu’il souhaitait que mon nom soit aussi dans le livre d’histoire de l’Aikido. Maintenant, je peux parler de l’Aikido sans hésitation.
En 1963, à 28 ans, j’ai été shihan, ce qui signifie maître des maîtres. J’étais alors le plus jeune 6ème dan. J’ai été délégué officiel de l’Aikikai pour l’Europe et l’Afrique. J’ai introduit l’Aikido jusqu’en Afrique sans hésitation. Mais que quelqu’un continue l’Aikido sans l’esprit, en ne gardant que les techniques, cela je ne le supporte pas. L’Aikido est un cheminement spirituel.
La réalisation des techniques sans l’esprit n’est pas supportable. Par exemple, seulement shihonage. Le monde d’aujourd’hui préfère la facilité. Tout le monde veut pratiquer cet art martial, pour avoir confiance en soi, rester calme devant la violence. C’est de la folie. Et c’est ainsi que les gens se précipitent vers l’Aikido. Désormais dans la rue, tout le monde connaît l’Aikido. J’ai dit au fils Ueshiba avant sa mort l’année dernière : « Vous avez fait un miracle. Mais pourquoi vouloir réduire l’Aikido à une montagne de techniques ? »
Aujourd’hui, comment est-il possible de pratiquer ensemble l’idée du fondateur? Regardez le judo, il ne reste plus rien de l’idée de son fondateur Jigoro Kano. Il ne reste que les techniques. Il ne faut pas que la même chose arrive à l’Aikido. Il ne faut pas que l’Aikido devienne comme le karaté. Kara 唐signifie la Chine, te 手c’est la main, et la main, c’est la boxe. Le fondateur, Funakoshi, inspiré par le zen, a écrit karaté avec kara comme l’écriture de ku空, le vide. Il a donné l’idée de Kara, comme vacuité. Le karaté aussi au départ était un cheminement spirituel à base de techniques.
Si je suis l’enseignement de maître Ueshiba alors je dois continuer sur le chemin spirituel. Mais beaucoup de personnes ne s’intéressent qu’à la technique, et lorsqu’ elles arrivent à un certain niveau, elles commencent à enseigner. Elles transmettent quelque chose d’empoisonné. Peut-être pour ces personnes là, le budo se définit ainsi.
En renforçant toujours plus la technique, nous construisons notre propre cage. Pour nous libérer de l’enfermement, il nous faut apprendre à l’ouvrir. Je crois que maître Ueshiba a révolutionné le monde des budo en disant que son art était la réalisation de l’amour. Il est le premier à avoir parlé ainsi.
Interview de maître Noro en 1999 par Luc Boussard pour le Centre International Noro Kinomichi
Révisé par KINOMICHI.INFO
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L’ESPRIT DE LA VOIE
PARTIE 1 – La rencontre avec Osensei
PARTIE 2 – La vie auprès d’Osensei
PARTIE 3 – La propagation de l’Aikido
PARTIE 4 – La filiation
PARTIE 5 – L’engagement du Maître < LECTURE EN COURS
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