MAÎTRE NORO – Le mouvement universel du Ki (3/3) – Principes du Kinomichi

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Jean Paoli: Quels sont les principes fondamentaux qui déterminent le Kinomichi ?

La rencontre, la communication, l’amour, la paix. Souvent je dis dans mes cours : quand on commence l’éducation dans l’enfance, tout n’est que méfiance. Beaucoup de méfiance. Attention, méfie-toi ! À l’école, qui t’as frappé ? untel, alors va le tabasser. Quelle note ? Qui est fort ? Qui est faible ? Plus tard dans la vie active, la rivalité s’installe. Il faut être le meilleur. Plus fort, plus beau, etc. Je dis l’énergie du Kinomichi, ce n’est pas ça. C’est l’esprit d’ouverture, le contact par l’exercice. Cet exercice, c’est comment optimiser cette énergie qui passe par la terre et s’élève vers le haut en traversant le corps. Bien sûr le Kinomichi n’est pas seul à utiliser ce principe. À l’origine de la danse déjà ce principe dominait. Dans les danses primitives comme dans les danses modernes, l’énergie s’élève des pieds vers la tête, de la terre vers le ciel. Aujourd’hui malheureusement, il n’existe plus de discipline qui travaille ce principe terre-ciel.

Noro sensei et terre-ciel

Que devient la relation tori/uke comme la connaissent les pratiquants d’Aikido ?

Kinomichi, c’est l’art du mouvement. C’est dans le mouvement que s’exprime cette énergie dont nous avons parlé. Tori est au centre de cette spirale, uke, comme un atome, est en en gravitation autour de ce centre. L’esprit est dans ce mouvement d’harmonisation entre tori et l’attaque de uke. C’est à cela qu’il faut arriver, faire disparaître le désir de domination par l’affrontement. Tori et uke c’est l’harmonisation. Ce doit être une rencontre pour créer le souffle de l’harmonisation.

Les techniques de bases de l’Aïkido se retrouvent elles dans le Kinomichi ?

Toutes. Nous travaillons toutes les techniques de l’Aïkido. Parce que je ne connais que l’Aïkido, pas autre chose Mais, la première chose à faire, par exemple shihonage. Nage, projection. Dans la tête vient tout de suite l’idée de projeter. Ikkyo, autre exemple, immobilisation. Déjà, c’est deux exemples d’un début d’affrontement dans les esprits, alors j’ai supprimé tous ces nage et immobilisations. De même pour ce qui concerne les attaques. J’ai gommé l’esprit guerrier de l’attaque, donc la forme combative des défenses. Les techniques de l’Aïkido sont utilisées comme vecteur de communication, d’harmonisation, dans l’esprit défini par O sensei. L’aspect extérieur de shihonage reste shihonage, mais à l’intérieur de la forme, ce n’est qu’harmonie. C’est pourquoi je l’ai nommé : premier mouvement du ciel. Et ikkyo : premier mouvement de la terre.

Maître Noro en pratique, uke M. Pillet, F. Weidmann et F. Simon – Photos Jean Paoli

A quel moment avez-vous renoncé au caractère martial de l’Aïkido ?

Cela fait déjà bien longtemps. Vous savez, toutes les techniques, comme shihonage par exemple, il fallait qu’elles soient efficaces. Mais moi je n’ai jamais aimé l’affrontement. J’ai toujours pensé aux paroles révolutionnaires de Morihei Ueshiba : « La technique est au service de l’amour. » Au fond de moi je n’aime pas l’affrontement, alors le temps était arrivé d’éliminer tout affrontement. Mais malgré ça, si quelqu’un de très puissant, de physiquement bien développé se présente avec sa force, je lui dis : viens, bouscule moi…Je passe alors ma technique pour montrer que je suis encore dans la recherche.

Préconisez vous un travail particulier du ki ?

Beaucoup de pratiquants d’arts martiaux parlent de ki, mais ce ki, ils l’utilisent pour s’affronter. Un jour je vois deux de mes élèves qui pratiquent comme dans un affrontement. Dans l’exercice, ils étaient très contractés. L’un dit : « Toi, tu as du ki. » Alors je leur ai dit, ça ce n’est pas du ki. Le ki c’est le souffle universel, c’est un souffle créatif. Ce qui est destructif, ce n’est pas du ki. Le ki c’est l’amour et l’amour doit être harmonisation. L’énergie c’est la rencontre homme-terre-ciel. Quelqu’un qui dans un affrontement projette son partenaire très loin, ça ce n’est pas du ki. Dans ces moments-là, je me dis que tout ça doit changer. Nous devons changer. Quel est le sens de cette vie moderne, qui établit cette relation entre les êtres, quand je vois le monde d’aujourd’hui avec tous ces conflits ? La véritable force est dans celui qui crée une relation d’amour entre les hommes. Entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’univers. C’est cette énergie que le Kinomichi veut développer par ses exercices. Mais malgré cela quelqu’un peut arriver, se durcir et briser cette harmonie.

Stage à Paris au Gymnase Leo Lagranges en 2007

Le toucher dans votre pratique semble un acte libérateur.

Bien sûr. Attention ! Le toucher peut aussi être un piège. Dans le Kinomichi, le toucher est un facteur de communication partagé. Il faut faire une distinction, dans le toucher les deux souffles ne doivent pas s’affronter, sinon c’est la destruction.

Avez-vous également adapté le travail aux armes de l’Aïkido dans votre pratique ?

Tout à fait, les armes de l’Aïkido se retrouvent dans la pratique du Kinomichi. L’arme doit être un moyen de développer le ki, comme nous l’avons défini précédemment, principalement le bokken et le jo. C’est le premier Shogun, Tokugawa, qui a déclaré au XVIIe siècle : « Maintenant assez de guerre, le Japon doit retrouver la paix. » C’est sous son ère que le sabre du samouraï a évolué vers un instrument au service de la paix. L’arme ne devait plus servir à tuer mais au contraire à favoriser l’équilibre intérieur, tout en devenant un symbole de pureté comme on le vit aujourd’hui. C’est dans cet esprit que le samouraï devait utiliser son arme. C’est aussi à ce moment que le bujutsu (technique de guerre), a évolué vers le bugeï (art de paix). La pratique des armes était devenue une pratique dans la joie de vivre. C’est dans cet esprit là qu’elle s’intègre dans le Kinomichi. Encore une fois, la voie que nous a montrée Morihei Ueshiba.

Stage à Paris au gymnase Léo Lagrange en 2007

A qui s’adresse la pratique du Kinomichi ?

À personne en particulier, à tout le monde, aux enfants comme aux adultes jusqu’à un âge avancé. J’ai même une pratiquante de 80 ans, elle est magnifique, extraordinaire. Il est bien sûr possible de s’initier à tout âge. Le devoir des anciens est de s’ouvrir aux débutants. Cette communication est inscrite implicitement dans le Kinomichi.

Le Kinomichi est en quelque sorte l’œuvre d’une vue, comment la voyez vous aujourd’hui ?

Déjà presque 25 ans que nous développons notre art. Je suis très enthousiaste. Cet exercice me paraît nécessaire pour l’humanité. Nous nous sommes développés dans de nombreux pays, en Europe et dans le monde entier. Le mois prochain je serais au Mexique où j’ai beaucoup d’élèves. Nous pouvons créer une autre dimension dans la relation humaine. Nous sommes déjà nombreux dans cette pratique. Je ne sais pas exactement à quel stade nous sommes arrivés, mais le Kinomichi fait toujours plus d’adeptes.

Interview de Maître Noro Masamichi par Jean Paoli publié en décembre 2003 dans Aikido Magazine

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LE MOUVEMENT UNIVERSEL DU KI
PARTIE 1 – Jeunesse au Japon et Aïkido
PARTIE 2 – Genèse du Kinomichi
PARTIE 3 – Les principes du Kinomichi < LECTURE EN COURS

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