Interview Gisèle se Noiret – De l’Aikido au Kinomichi – Partie 1

Gisèle de Noiret (1926-2016) et Marie Thérèse Foix (1921-2011) furent parmi les pionnières de la kinésithérapie en France à Paris. Associées depuis le début des années 50, elles rencontrent Maître Noro Masamichi au début des années 70. Maître Noro s’appuya sur leurs travaux, ainsi que sur les enseignements du docteur Lili Erhenfried, pour définir les bases du Kinomichi. Gisèle De Noiret témoigne dans cette interview, réalisée en 2014 par Takeharu Noro soke, de son histoire et des liens qui l’unissent à Maître Noro, à Marie Thérèse Foix et au Kinomichi.

Jeunesse, éducation physique et kinésithérapie

Gisèle de Noiret: La pédagogie a toujours fait partie de ma personne. Déjà très jeune, j’avais compris que je que cette passion pour l’enseignement m’aiderait à contacter le domaine du soin. J’ai commencé l’enseignement à 16 ans, ici même en région Nantaise à Rezé. J’étais arrivé dans cette maison trois ans auparavant à l’âge de 13 ans. C’était en 1939, la guerre venait d’éclater. Avec mes deux parents, nous dûment rentrer d’Egypte où j’avais grandi. Je me souviens que plus jeune encore, j’avais de bons professeurs d’éducation physique à Alexandrie. Nous sautions, nous courrions, nous faisions déjà jeunes, toutes sortes d’exercices athlétiques au Lycée français. Mais il faisait chaud ! Cela me demandait beaucoup d’efforts.

Gisèle de Noiret, professeur d’éducation physique, années 40

A la fin de l’année 1942, à l’âge de 16 ans, je débute l’enseignement de la gymnastique hébertiste. L’éducation physique était devenue obligatoire pour tous. La méthode Hébert qui avait été sélectionnée était facile à apprendre. Il suffisait d’avoir un grand terrain. Nous pouvions aussi le faire en plein air ou à la mer. J’ai d’ailleurs travaillé dans des centres de rééducation physique en bord de mer. J’en garde un bon souvenir.

Centre de rééducation à Berck sur Mer – archives de Gisèle de Noiret

J’ai aussi été formé à la Gymnastique rythmique arrondie avec une personne qui avait travaillé avec Dalcroze. Une autre bonne méthode. J’ai enseigné l’éducation physique jusqu’à 24 ans. C’est après cela que je suis arrivée à Paris, en 1950. C’est alors que j’ai commencé la Kinésithérapie. L’année suivante, en 1951, Marie Thérèse et moi nous sommes rencontrées.

Marie Thérèse était très intellectuelle. Elle avait fait à l’époque une licence d’histoire. Nos échanges m’ont certainement aidé à approfondir mes réflexions. Elle s’intéressait, elle développait, elle montrait et puis c’était tout, on en faisait ce que l’on voulait. Je crois qu’elle était très libre vis-à-vis des autres. On a l’impression que sa pensée se prolongeait après ses échanges.

La rencontre de Maître Noro

Lorsque tu m’as demandé de discuter autour de Maître Noro, je t’ai tout de suite dit « Oui », c’est une évidence. Puis j’ai réfléchi. Je me suis dit : « Que vais-je lui dire ? ». Parce que finalement, Maître Noro ne nous a rien dit. Pour tout dire, j’ai ressenti sa présence. A ses côtés, c’est une autre façon de vivre la relation qu’il nous proposait. Ce n’était pas affectif ni émotionnel. Mais il nous offrait une forme d’amour. Je ne trouve d’ailleurs pas bien les mots pour exprimer cela.

J’ai rencontré Maître Noro pour la première fois en 1970. J’étais avec Marie-Thérèse et nous sommes venu assister à cette démonstration d’Aikido au Marcadet Palace. J’étais curieuse après avoir vu l’affiche dans la rue alors j’ai pris les places et nous y sommes allé. Sur place, Maître Noro est arrivé sur scène. Tout souriant, il a commencé sa démonstration. Il a soudainement projeté son partenaire en élevant ses deux bras en l’air. Avec Marie-Thérèse, nous nous sommes tout de suite retournées l’une vers l’autre et nous nous sommes écriées : « Voilà. Il réalise l’expiration vers le haut ! » Il faut dire qu’à l’époque que tous les arts du mouvement expiraient profondément vers le bas. Personne ne savait ce que c’était que d’expirer vers le haut. C’est cela qui nous a accroché.

Maître Noro et Maître Asai 1970 au Marcadet Palace

Maître Noro et Maître Asai au Marcadet Palace 1970

A partir de cette expérience, j’ai décidé de m’inscrire au Dojo de la rue Constance. Nous nous sommes très bien entendus avec Maître Noro. Avec le temps, je lui ai bien sûr parlé des recherches que nous avions avec Marie-Thérèse. Puis il m’a émis la curiosité de voir notre travail. Alors nous sommes venus toutes les deux et nous lui avons montré ce que nous faisions à l’époque.

Il s’agissait principalement d’étirements que nous proposions ensemble à deux praticiennes sur un patient. Il s’agissait en réalité pour nous d’un échange avec Maître Noro, car c’était en retour de cette image d’expiration que nous avions reçu. Mais voici les étirements que nous faisions à deux et en spirale sur son corps allongé (démonstration). Cela était un petit peu compliqué à mettre en place, il fallait tout de même prendre rendez-vous avec deux praticiens!

Maître Noro avait certainement besoin de communiquer avec d’autres. A certains moments, il a eu des creux et des vides.

Globalement, tout s’est donc passé si naturellement, que nous ne nous sommes jamais rien expliqué que je pourrai précisément rapporter. Alors au fond, il ne nous a pas fait de confidence. Nous recevions ce qu’il transmettait aux autres.

Je garde ce souvenir sur ce qu’on appelle l’énergie, un mot vaste et qui n’est pas très bien défini. Un jour, au dojo, j’ai senti que Maître Noro était très fatigué. Nous faisions tous ensemble l’exercice de Ikkyo undo. J’ai tout de suite compris que je devais prendre le relai et je lui ai donné mon énergie. Cela l’a réveillé. Nous n’avions pas besoin de nous toucher. Il y avait une transmission par l’énergie. On emploie aujourd’hui le mot d’amour et je trouve que c’est bien. Cela couvre beaucoup d’actes, pour beaucoup de gens et un grand besoin chez chacun. Je ne lui ai pas dit : « Maître, je vous envoie mon énergie. » Nous n’avions pas besoin de parler.

Gisèle de Noiret Ikkyo Undo

Gisèle de Noiret démontrant Ikkyo Undo à la salle Pleyel, 1977

De son côté, Marie Thérèse s’est tout de suite intéressée au travail sur les extrémités nourries par son contact avec Maître Noro puis avec l’ostéopathe Carini. J’ai personnellement mis plus de temps à m’habituer à cela. Elle a tout de suite transformé toutes ses connaissances en s’intéressant à la connexion entre les extrémités. Elle recherchait la correspondance de bout en bout des orteils aux doigts de la main. Lorsqu’elle est établie, la force peut s’exprimer et il n’y a nul besoin de se crisper ni de se contracter. Avec l’élongation la force apparaît.

Le Kinomichi

J’ai quand même pas mal enseigné le Kinomichi. La rencontre avec Maître Noro fut positive dans ma vie car il est rare de rencontrer des gens qui partagent le fond de quelque chose que l’on porte. Avec Marie Thérèse, c’était pareil. Nous nous sommes très vite et très bien entendues. On en a profité.

Je préparais beaucoup mes interventions en Kinomichi. Cela fait partie de mon être pédagogique. Avec Maître Noro, nous enseignions aux mêmes heures dans les 2 salles du Dojo de la rue Logelbach en face du Parc Monceau. Et lorsque nous sortions, nous avions fait la même chose, choisis les mêmes exercices. Cela se produisait très souvent. C’est étonnant car nous ne nous disions absolument rien. Jamais.

Programme de la démonstration d’Aikido à la salle Pleyel de l’Institut Noro, le 3 mai 1977

Je ne me souviens pas du tout comment Maître Noro m’a demandé d’enseigner au dojo. Cela s’est passé de façon tout à fait naturelle. Je ne demandais pas mieux. J’ai fait cela consciencieusement. J’étais à ma place. C’est vrai que j’enseignais déjà l’Aikido rue de Petits Hôtels, mais pour moi, il n’y avait pas de différences avec le Kinomichi. Mis à part pour les quelques brutes qui à l’époque de l’Aikido se plaisaient à dire : « Alors, elle va crier celle-là ».

Je me rappelle aussi de ce voyage au Japon en 1973 que nous avons fait avec votre famille, les pratiquants japonais du Centre Mondial de l’Aikido furent très surpris.

Je n’ai pas vécu le passage au Kinomichi comme une grande différence car je n’y ai pas assisté. Cela se serait produit lors d’un stage à l’Abbaye de l’Arbresle. Je n’ai jamais été à l’Arbresle et j’ai certainement manqué quelque chose de signifiant. Si bien que je n’ai jamais été introduite au Kinomichi qu’à Paris et par les uns et les autres. Mais pour moi, il n’y avait pas de différence mis à part que j’avais compris qu’au lieu de se faire du mal, nous recherchions à nous faire du bien. Ce passage devait se faire et peut-être que nous lui avons apporter certains éléments dont il avait besoin pour franchir ce cap.

Marie Thérèse, de son côté, ne pratiquait pas au Dojo. Quand nous venions chez vous à Villennes-sur-Seine, nous prenions nos cours particuliers avec Maître Noro puis nous échangions. Avec elle de toute façon, il fallait parler. C’était impensable autrement. À tout moment de la journée, une idée pouvait lui venir et il était temps de parler. Aujourd’hui j’accède à cette expérience. Je crois que c’est une certaine forme de méditation. Par exemple je regarde la télévision et arrive idée. Puis cela trotte dans ma tête. Cette chose nous habite et se reformule d’une façon ou d’une autre par le corps.

Toutes ces expériences m’ont toujours accompagnées et m’ont permis de créer la Dissociation. Sur une idée lancée par Marie Thérèse sur la dissociation musculaire, je me suis lancée. Il y avait l’ouvrage de Michel de Boulogne qui m’a beaucoup aidé. J’ai entrepris une étude approfondie pour faire travailler chaque muscle du corps séparément. La plupart du temps sur des musiques de percussions de toutes les origines. Par exemple, prenons le psoas iliaque, un des muscles les plus importants du corps car il sert à l’élévation du corps ou de la cuisse. Comment contracter ce muscle ? C’est un fléchisseur de la jambe légèrement rotateur externe. Il faut voir et sentir toutes ces nuances. Il n’existe d’ailleurs aucun fléchisseur direct sans rotation. C’est ensemble que les muscles fléchissent droits.

Pour la Dissociation, il est donc important de n’activer qu’un seul muscle et de répéter. Le muscle doit être contracté puis complètement relâché. Lorsque par la suite, j’appelle ce muscle au secours le mouvement est comme enregistré. La musique est un soutien important. Elle est un point d’appui sur lequel le corps peut répéter des heures durant. Les principes de la Dissociation sont très simples. Elle peut être pratiquée par tous à l’aide d’une carte anatomique. Aujourd’hui, lorsque j’ai besoin d’un muscle, je l’appelle. J’ai recherché, je l’ai noté, puis je l’ai enseignée.

Tout cela se modèle petit à petit. C’est ce que l’on appelle l’expérience. Cette recherche continue ! Je ne pensais pas que cela m’arriverait. Alors je me dis qu’il faut que je reste un bout de temps encore.

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