MAÎTRE NORO – Un homme en paix (2/3) – Pionnier de l’Aikido en France

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Manou Armengaud: Comment s’est déroulée votre arrivée en France en septembre 1961 ?

Tadashi Abe m’avait donné les noms de personnes à contacter, sinon cela n’aurait pas été possible d’assurer tout seul en Europe. Quand je suis arrivé au port de Marseille à 5 heures du matin, il n’y avait personne. Je suis resté seul, six heures assis, avec ma grande valise. Vers 11 heures, ceux qui devaient m’attendre sont enfin arrivés. J’ai été embrassé pour la première fois par une femme et j’ai été très surpris !

1962 à Reims

A Marseille, je n’avais que cinq pratiquants à mon premier stage. Des journalistes sont arrivés, la télévision, des commentateurs. L’un d’eux m’a donné un coup de poing, je l’ai projeté. Petit à petit j’ai eu quelques élèves et au second stage, il y avait une soixantaine de personnes. Au milieu de la Canebière, sur un tatami, je montrais ce qu’étaient les techniques de l’Aikido. Je crois que j’ai fait le maximum. A Nîmes cela s’est déroulé à peu près de la même façon, puis dans chaque ville où je me rendais : Perpignan, Toulouse, Cannes, Menton, etc. J’ai eu de la chance, beaucoup de chance.

A Cannes, j’ai remarqué une présence importante de personnes âgées. Je me suis dit qu’un jour je dynamiserai ces personnes avec mes exercices. Et maintenant, dans mon Dojo, la moyenne d’âge est de plus de quarante ans, environ 50 % d’hommes et 50% de femmes. Je suis très content. Il est impossible que je me repose (rires).

Dakar en 1962

En quatre ans vous avez monté plus de 200 dojos. Comment avez-vous fait ?

En beaucoup moins de quatre ans : en 2 ans j’avais créé 200 sections. Le samedi matin, je donnais des cours dans une ville, puis le samedi soir une démonstration à 200 kilomètres de là, et le dimanche encore une démonstration à un autre endroit. Angleterre, Suède, Italie, Suisse, etc. J’étais dans ta joie. Cela a été très rapide et je me souviens de cette période comme de l’une des plus agréables de ma vie.

Cherbourg années 60

Avez-vous ressenti des différences entre les Japonais et les Français ?

Non. Nous sommes tous des êtres humains. L’éducation est différente, peut- être, mais le fond n’est pas différent. Quelques experts ont critiqué les Français. La critique peut, hélas, être catastrophique, elle est responsable de bien des erreurs. L’union me semble un but important. J’aimerais tellement que nous fassions tous de l’Aikido sans séparation.

J’apprécie vraiment la France, mais pas la politique. Une fois, Mr Mitterrand ma invité à diner ; j’ai refusé. Maintenant je regrette mon orgueil. Je suis Français, au fond, malgré mes yeux brides.

Dans une interview récente Daniel Toutain, qui a été l’un de vos élèves, parle de vous comme étant un Maitre terrible ayant le génie du geste. Est-ce l’impression que vous gardez de vous à cette époque ?

Je suis malheureusement incapable de me souvenir comment cela se passait voici trente ans. Actuellement, à y a beaucoup d’enseignants en France et en Europe qui ont été mes élèves. Selon eux j’étais très dur.

Maître Noro et Daniel Toutain uke

Je déteste les grades. Certains élèves avaient des grades plus élevés que le mien. L’un d’eux était 8e dan alors que j’étais moi-même 6e dan et shihan à 26 ans. Depuis je n’accorde pas d’importance pour moi à ces titres honorifiques.

Vous aviez comme projet que l’Aikido devienne un art et dépende ainsi du ministère de la Culture et non de celui des Sports. Vous avez même écrit à André Malraux pour cela. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Mon idée était que l’Aikido devienne un art, car un sport implique des techniques, des affrontements, des compétitions, un comité olympique, des personnes qui décident qui est bon et qui est mauvais : des choses inacceptables pour moi. Mais je n’ai pas réussi à réaliser mon projet.

Votre accident de voiture fut le début d’une longue période difficile. Quelle Incidence cela a-t-il eu sur votre pratique ?

Un changement fondamental. Jusque là mon exercice se résumait à « force contre force », une technique pour le combat. Avec cet accident je me suis tout à coup éveillé à la parole de Maître Ueshiba. A 72 ans, il disait : « mon Aikido est la réalisation de l’amour ». Il y a eu cet accident de voiture et je me suis rappelé ses paroles. Je suis finalement très heureux d’avoir eu cet accident. A ce moment j’ai compris le Ki, j’ai senti l’Amour. Bien sûr, je ne demande pas à mes élèves de faire la même chose !

Mon père m’avait dit « il ne faut jamais avoir un esprit de mendiants ». Un jour à Stockholm, un instructeur a perdu son argent. Il m’a demandé si je pouvais lui en prêter. Je lui al donné tout ce que j’avais dans ma poche et je n’ai pas pu manger pendant une semaine.

Il y eut ensuite cette démonstration à Londres, en 1966, pendant laquelle il s’est passé quelque chose. Pouvez-vous raconter ce moment ?

Suite à cet accident je gardais un bras paralyse. Ce jour-là mon bras s’est mis à bouger. C’est dommage qu’il n’y ait pas de film de ce moment. Le mouvement est simplement arrivé : il n’y avait plus de différence entre la main droite et la main gauche, tous les doigts bougeaient sans que ma volonté intervienne. Quelle expérience extraordinaire ! Grâce à l’Aikido…

1966 Angleterre avec Chiba sensei uke

Même après l’accident, je suis resté tout le temps au service de mes élèves, je n’ai jamais arrêté. Il n’était pas question que je rentre au Japon à cause de cela. Cet accident faisait partie de mon expérience de la vie. Pourtant j’étais au plus bas

Passons à votre enseignement actuel : est-ce à partir de votre accident de voiture que vous est venue la volonté de créer le Ki No Michi ?

C’est venu bien après, dans les années 70. Ce n’était pas mon désir à la base mais cela devenait inéluctable, mon enseignement évoluait. Voilà comment le Ki No Michi a été créé en 1979. Parfois on me demande pourquoi j’ai arrêté l’Aikido. Je n’ai pas arrêté. D’ailleurs à Paris nous appartenons à la FFAAA.

Interview de Maître Masamichi Noro au Korindo Dojo par Manou Armengaud, le 11/04/2008, publiée sur Aikidoka.fr

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UN HOMME EN PAIX
PARTIE 1 – Jeunesse et Aikido
PARTIE 2 – Pionnier de l’Aikido < LECTURE EN COURS
PARTIE 3 – Le Kinomichi

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