MAÎTRE NORO – Un homme en paix (1/3) – Jeunesse et Aikido

Interview de Maître Masamichi Noro au Korindo Dojo par Manou Armengaud, le 11/04/2008, publiée sur Aikidoka.fr

C’est avec un large sourire et un regard profond que nous accueille un homme qui ne se met pas souvent en avant. Masamichi Noro sensei est pourtant l’une des figures incontournables de l’Aikido français, fondateur et directeur technique du Kinomichi, il a marqué toute une génération de pratiquants et de grands enseignants. C’est pour nous un grand honneur qu’il ait accepté de de son art, de sa recherche et du message qu’il nous parler de sa vie, souhaite faire passer.

Maître Noro, photo David Jousselin

Manou Armengaud: Bonjour Sensei. Nous vous remercions d’avoir accepté cette interview. Nous allons commencer par votre jeunesse au Japon, si vous le voulez bien. Quel genre de petit garçon étiez-vous ?

J’étais tout le temps malade et j’avais les poumons très faibles Mon grand-père est décédé d’un problème de poumon, mon père a été traité pour un cancer du poumon. Quand je suis devenu lycéen, j’ai quitté mes parents. Puis je suis entré à l’université. J’aurais dû être médecin maintenant car j’ai été reçu second à un concours où des milliers de personnes se présentaient. Mais un jour, j’ai rencontré Maître Ueshiba et j’ai décidé que ma vie était la. J’ai donc arrêté mes études de médecine pour étudier aux côtés de Maitre Ueshiba. Il a changé mon destin, ma vie. Mon père est entré dans une colère terrible, mais rien ne pouvait me faire changer d’avis : j’avais choisi.

Noro Masamichi entourés de sa mère, sa grand mère et ses deux grandes soeurs

Aviez-vous pratiqué les arts martiaux auparavant ?

Un petit peu de Judo, du Kendo également, comme tous les enfants de ma génération. Je ne pensais pas faire de l’Aikido un jour. En étudiant l’arbre généalogique de mes ancêtres, je me suis aperçu que l’un d’entre eux est à l’origine de la technique qui devint plus tard le Daito Ryu. D’après l’arbre généalogique de Maitre Ueshiba, nous aurions des ancêtres communs. Je n’ai jamais parlé de cela auparavant

uand vous avez vu Maitre Ueshiba pour la première fois, qu’est-ce qui vous a plu dans sa pratique ?

Je ne saurais pas le définir, Il a fait un mouvement et je me suis dit : « ma vie est là ». Puis j’ai passé six ans avec lui, matin, midi et soir. Je ne le quittais pas. J’étais tout le temps à ses côtés. Il disait de moi : « voilà mon fils ». Maintenant encore, je suis tout le temps avec lui. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi j’ai choisi ce chemin. S’il m’avait demandé de sauter du haut de la falaise, je l’aurai fait. Mais le maître ne demande que des choses qui construisent. Je savais que mon maître ne me ferait jamais mourir.

Osensei Morihei Ueshiba, fondateur de l’Aikido

Vous étiez uchideshi au Hombu Dojo. Comment se déroulaient les cours ?

Je ne crois pas que la façon d’enseigner ait beaucoup change techniquement. L’esprit, je ne sais pas. Mais d’après certains instructeurs, je ne crois pas qu’ils entendent la parole du créateur. C’est dommage. J’étais comme ça, plus jeune. J’ai fait de la compétition. Il y a 45 ans, ma technique m’a permis de mettre à terre un champion de Judo. J’ai fait la conquête de l’Europe grâce à ma puissance, mon efficacité, ma violence. J’ai eu un succès extraordinaire. Mais Maître Ueshiba parlait d’amour Maintenant avec mon Ki No Michi, je vais essayer de me rapprocher de Maître Ueshiba. L’amour existe dans les sons, dans les paroles, dans l’art, mais dans l’Aikido aussi. À présent je demande pardon à mon maître pour l’efficacité, car finalement, l’Aikido est amour.

Pouvez-vous nous raconter la période du « Dojo de l’enfer » ? Avec qui étiez-vous alors ?

Sugano était mon assistant, Tamura était mon frère. De Tamura et moi, on disait que nous étions inséparables. Non, ce n’était pas l’enfer. Maître Ueshiba parfait sans cesse d’amour, comment est-il possible de dire « Dojo de l’enfer » ? Je ne suis pas d’accord, c’était plutôt un Dojo de paradis ! Il régnait une ambiance incroyable, une envie de progresser. Sinon je ne serais pas resté.

Noro et Tamura sensei, avec le 2ème Doshu Kisshomaru Ueshiba et Kanai sensei

Quels souvenirs avez-vous conservés de O’Sensei ?

J’ai arrêté les études de médecine et je me m’occupais de lui du matin Jusqu’au soir. J’ai beaucoup voyagé avec lui. A l’époque, il n’existait que quelques sections d’Aikido au Japon, ce n’était pas comme maintenant où les pratiquants se comptent par milliers. Ces sections donnaient de l’argent à Maître Ueshiba, il fallait bien vivre. Quand il se déplaçait, je me déplaçais aussi. Tamura commençait à s’occuper de la section de Tokyo. J’enseignais également à l’école navale. Comme Maitre Ueshiba était très malade, il fallait être à côté de lui et le soigner. II me disait comment le soigner.

A mon arrivée en Europe, je n’ai pas pu pratiquer les techniques et pourtant je savais soigner en utilisant les points énergétiques, comme dans le shiatsu. L’étude des points vitaux ne sert pas qu’à tuer, elle peut amener l’homme a l’équilibre.

Quand vous-a-t-il présenté la chose ?

C’est son fils qui m’a demandé de me rendre en Europe. Maitre Ueshiba n’a pas prononcé de mots pour que je reste mais je le voyais dans ses yeux. Après toutes ces années à côté de lui, je le connaissais. Il a cependant voulu me donner le 8e dan pour me retenir. Je lui ai dit : « Maitre, je vais en Europe pour introduire votre création. Si vous faites cela, me passer du 5e dan au 8e dan, on va parler de copinage. Comment pourrais-je être crédible ensuite en Europe ? ». J’avais envie de faire connaître l’Aikido, mais pas de tricher comme cela.

Je suis resté 8 ans en Europe avant de revenir au Japon. Maitre Ueshiba était encore vivant. Je me suis assis à côté de son fils pendant qu’il faisait le cours. Il est venu près de moi et m’a demandé : « Qui es-tu ?». « Je suis Noro » ai-je répondu. Il m’a ensuite posé la question des dizaines de fois : « Qui es-tu ?». Je répondais toujours. Puis son fils lui a dit : « Noro est venu nous voir ». Maitre Ueshiba s’est alors mis à crier : « Noro ! Paris ! Noro est là ! ». Il a sauté, dansé devant tout le monde. Plus tard, quand je suis allé le voir dans sa chambre, il a regardé mon visage et m’a demandé de nouveau : « Qui es-tu ?». Quand il est décédé deux mois plus tard, j’ai eu envie de revenir immédiatement au Japon mais je ne l’ai pas fait : j’étais trop triste.

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UN HOMME EN PAIX
PARTIE 1 – Jeunesse et Aikido < LECTURE EN COURS
PARTIE 2 – Pionnier de l’Aikido
PARTIE 3 – Le Kinomichi