MAÎTRE NORO – L’esprit de la Voie (4/5) – La filiation

Partie précédente

Luc Boussard: N’y a-t-il pas une contradiction entre le désir d’internationaliser et cet attachement au shinto, proprement japonais.

Pour Osensei, il n’y avait pas d’internationalisation. Il n’y avait pas d’Amérique, pas d’Europe. Tout cela n’existait pas. Le monde est un et l’homme est universel. Dans son esprit, il n’y avait pas de frontières. Sa mission était d’aider l’homme avec cette spiritualité et l’Aikido l’outil qui aiderait à notre élevation.

Je tiens à préciser que le terme « art martial » n’est pas une bonne traduction de « budo ». L’art du dieu Mars égale le dualisme, ce que le Budo n’est pas. En Chine, il y avait un roi qui s’appelait Buho. Il était le roi du royaume de Bu et un des plus grands rois du bouddhisme. L’écriture, la calligraphie de Bu 武 est l’image de l’arrêt des armes. Dans cet idéogramme, l’arme est le trident et Bu arrête le trident. Il s’agit donc de la paix, mais pas n’importe quelle paix. Il souhaitait donner la paix à la Chine sans faire la guerre.
Au Japon le premier empereur s’appelait Jinbu 神武. Jin 神 signifie dieu, Jinbu 神武 signifie le dieu de Bu. Ce Jinbu, premier empereur, a voulu unifier le Japon et lui donner la paix. Vous comprenez qu’en Europe, admirer le Dieu Mars, Dieu de la guerre, n’a pas du tout le même sens. L’idée porté au Japon derrière Bu est très différente de celle de Dieu de la guerre. Ainsi, « Art martial » est une très mauvaise interprétation

Osensei Morihei Ueshiba

Au début du siècle dernier, Nitobe a écrit un livre qui s’appelle Bushidô. Il est allé en Amérique. Beaucoup de gens lui demandaient quelle était la base de l’éthique japonais. Quelle était la base de la morale au Japon ? Il répondit qu’il s’agissait du bushido. C’est ainsi qu’il a commencé à écrire le livre Bushidô.

Bushi 武士 n’a pas le sens de guerrier, samurai 侍 non plus. Dans son kanji (idéogramme), le samurai 侍 est homme de temple, un templier. Comment peut-on réduire le samurai à un guerrier? Pendant deux siècles le Japon est resté en paix, et durant toute cette période, les samurais ont dirigé. C’était l’époque Edo. Le Japon a vécu très peu de temps sans guerre. Les Chinois n’ont pas attaqué, les Coréens non plus. Aucune guerre entre les clans. Seulement l’histoire des 47 rônins qui ont vu leurs têtes coupées pour l’honneur. Puis vers 1850 la civilisation occidentale est entrée au port de Tokyo avec les « vaisseaux noirs » du commodore Perry. Les bouleversements ont alors recommencé alors que jusque-là, notre pays avait vécu deux siècles de paix.

Le Maître d’0sensei, Takeda sensei, semblait être un guerrier plutôt brutal, n’est-ce pas ?

Cet homme était malheureusement mon cousin lointain. Dernièrement, lorsque ma femme Odyle a récupéré une généalogie de ma famille japonaise maternelle. J’ai pu confirmer ce lien dont j’avais déjà connaissance.

Sokaku Takeda, Fondateur du Daitoryu Aikijutsu et Maître de Osensei Morihei Ueshiba

Ce Takeda dont nous parlons n’était pas Takeda par le sang. Mais sa femme l’était. Comme il n’y avait plus de descendant mâle chez les Takeda. Cette branche a fait entrer cet homme qui pris le nom de sa femme. Ainsi, c’est par le mariage qu’il est devenu Takeda et qu’il est entré dans la même lignée que ma mère. Les Takeda étaient une grande lignée. Il y a d’ailleurs eu un vice-shogun, très fameux. J’en ai récemment parlé avec le fils du fondateur et nous avons été surpris qu’il puisse aussi y avoir des liens généalogiques avec la famille Ueshiba.

Vous remontez d’une vieille lignée de samurai ?

Voilà c’est ça. Mon ancêtre était le créateur du Daitoryu. Il s’appelait Shinra Saburo Yoshimitsu et était aussi un ancêtre de Takeda Sogaku, l’homme avec qui maître Ueshiba a étudié les techniques du Daitoryu. Mais nous avons aussi trouvé des liens de parenté avec la famille Ueshiba.

Takeda semblait incarner la violence plutôt que la spiritualité.

Takeda incarnait l’esprit qui précédait le XVIIe siècle, l’esprit de guerre des bujutsu.  Ainsi, le budo qu’il vivait était une technique de guerre. À partir du XVIIe siècle, le budo fut considéré comme un art. Telle est l’évolution, le sens de la recherche de l’homme : d’abord il y a une technique, puis la technique évolue en art, enfin l’art atteint le do, le tao, la voie. Tel est le chemin. Aujourd’hui, dans budo nous parlons de do, de tao, de chemin spirituel.

Interview de Maître Noro en 1999 par Luc Boussard pour le Centre International Noro Kinomichi
Révisé par KINOMICHI.INFO

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Suite de l’article

L’ESPRIT DE LA VOIE
PARTIE 1 – La rencontre avec Osensei
PARTIE 2 – La vie auprès d’Osensei
PARTIE 3 – La propagation de l’Aikido
PARTIE 4 – La filiation < LECTURE EN COURS
PARTIE 5 – L’engagement du Maître