40 ans du Kinomichi (3/5) – Témoignages Aikido 1961/1979 – Maître Masamichi Noro

Les témoignages, partagés sur scène ou dans le livret distribué aux 500 convives de la MCJP – Maison de la Culture du Japon à Paris – le 1er avril 2019, regroupent des expériences, anecdotes et échanges qui ensemble rendent honneur à Maître Noro Masamichi.

Témoignages période Aikido – Années 60 et 70

Madame Tamura Rumiko, épouse de Nobuyoshi Tamura 8ème dan Aikido shihan

Lorsque nous sommes arrivés en France, nous avons retrouvé Noro sensei sur quelques stages et nous avons partagé des moments très joyeux, des baignades sur la côte méditerranéenne pour n’en citer qu’un parmi tant d’autres.

On dit de certaines personnes qu’elles baratinent ou qu’elles se vantent mais quand je repense à Noro sensei, je revois quelqu’un qui disait toujours la vérité des choses.

Et je pense qu’il consacrait tout son temps pour trouver sa vérité. Ce sont ces propres mots : « le chemin du ki », n’est-ce pas ? Six années se sont écoulées depuis sa mort, il se peut qu’il s’amuse bien avec mon mari en parlant de leur passé. Je prie sincèrement pour le repos de son âme.

Nobuyoshi Tamura, Rumiko Tamura et Noro Masamichi à Bruxelles vers 1965

Masaki Takegaki, assistant de Maître Noro dans les années 70

Déjà à cette époque, sa pratique était très différente de celle qu’il avait au Japon. Noro sensei a développé un style unique que personne ne pouvait imiter. La pratique avec les grands Maîtres est assez indescriptible. C’est comme s’il y avait un style sans qu’il y en ait un.

1971 – Démonstration à Boissy – Noro Masamichi et Takegaki Masaki

Dès mon arrivée en France, il m’a tout de suite pris comme Uke. Au club d’Aikido universitaire, j’avais l’habitude de faire Uke. Au début, il était gentil. J’ai tout de suite ressenti la puissance de ses techniques. Sa façon de conduire le mouvement m’intéressait. Je recevais parfois mal les projections, mais j’étais fier et ne lui montrais pas. Les débuts furent difficile mais je me suis rapidement adapté à cette pratique. Puis, tout est allé très vite. Mon corps s’est naturellement adapté à cette pratique, les sensations se sont fortement développées. Si je n’avais pas été son Uke, tout aurait été différent.

1974 – Stage de Mâcon – Asai Katsuaki sensei – Noro Masamichi sensei – Takegaki Masaki sensei

Lorsqu’il était de mauvaise humeur, il ne le montrait pas, mais il me projetait très fort. Il sentait les choses différemment. Il n’était d’ailleurs pas toujours logique selon moi. D’ailleurs, si c’était logique, n’importe qui aurait pu le copier. Il changeait fréquemment le sujet de la conversation lorsque cela ne lui plaisait pas. C’était pour lui tout à fait normal.

Jamais il ne nous a fait répéter avant les démonstrations. Nous ne savions pas ce qu’il allait faire. Au dernier moment, il nous disait combien de personnes il souhaitait sur le tatami. Il ne s’appuyait uniquement que sur les sensations pour les démonstrations, surtout avec le jo. Nous pouvions voir le style de O’sensei dans son jo, vivant à sa façon.

1970 – Démonstration au Marcadet Palace – Asai Katsuaki sensei – Noro Masamichi sensei et Takegaki Masaki sensei

Les kata ne l’intéressaient pas car il n’en a pas appris auprès de O’sensei qui n’en enseignait pas. Il a juste ressenti son contact. Tout a été intégré de façon. Ainsi, Noro sensei n’enseignait que les déplacements. Pour lui, les pratiques de l’Aikido à main nu et au jo étaient identiques. Nous pouvions le voir. Le jo était comme un prolongement de son corps. En travaillant seul avec le jo, il a beaucoup développé sa pratique. Il pouvait faire tous les mouvements d’Aikido avec le jo. Il aimait beaucoup le jo. Je pense que c’est grâce à cette technique du jo que son mouvement a pu beaucoup grandir. Beaucoup d’experts pratiquent dans un espace compact. Au regard de leur démonstration, nous ressentons généralement de la fatigue. Mais regarder Noro sensei procurait l’effet inverse. Nous nous détendions en l’observant. Son mouvement donnait de l’énergie.

Christian Tissier shihan, 8ème dan Aikido

En 1965, mon professeur de l’époque Jean Claude Tavernier, me conduisit un soir à la Gare du Nord en me disant : « Ce soir, tu verras ce qu’est vraiment l’Aikido ». J’avais 14 ans et notre pratique était davantage un genre d’Aiki-budo très sommaire. En arrivant au dojo, je réalisais que je n’avais jamais vu auparavant une telle ambiance de travail. Les pratiquants étaient en sueur, les chutes étaient incroyables. Personne ne parlait. Dans un coin le Maître, en seiza, immobile, restait muet. Son regard allait d’un groupe à l’autre, fronçant les sourcils à certains moments. J’étais très impressionné par cette ambiance particulière et nouvelle pour moi.

Année 60 – Masamichi Noro au Dojo de la Gare du Nord

J’attendais néanmoins avec impatience de voir le Maître se lever et évoluer avec magie. Hélas la fin du cours arriva et se déplaçant à peine Noro Sensei démontra le kokyu ho avant le salut final. Je n’ai jamais su s’il avait été indisposé par notre présence et il me fallut attendre encore pour qu’il m’émerveille lors d’une démonstration à la salle Pleyel. Entretemps, Nakazono Sensei était arrivé à Paris non loin de chez moi et notre rencontre suivante avec Noro Sensei eut lieu à l’Aikikai de Tokyo en 71 ou 72. Notre relation plus intime a pris forme bien plus tard. J’ai le sentiment que de cœur à cœur nous étions proches.

John Trévor, Instructeur d’Aikido en Angleterre

Lorsque Maître Noro vint en Angleterre au milieu des années 60, j’étais encore adolescent. Il dégageait une grande gentillesse comparé aux autres Maîtres de Budo que nous avions l’habitude d’accueillir… Il aimait résider chez mes parents, et ma mère ne cessait de me dire à quel point il était gentleman. Durant les stages, il avait l’habitude de montrer quelques mouvements de Judo aux enfants avant le début des cours pour adultes.

…A sa proposition, je le rejoins à Paris pour me consacrer à l’Aikido. A mon arrivée, je découvris qu’il sortait d’un grave accident de voiture.

Nous logions au nord de Paris dans une petite chambre. Au quotidien, j’avais pris l’habitude  de m’entraîner avec des jo en fer pendant qu’il faisait des plans sur des feuilles à carreaux, en fumant et en buvant du café. Puis nous nous promenions jusqu’à ce qu’il soit temps qu’il enseigne dans différents établissements. Lorsque le cours était fini, nous retournions à la maison où il m’apprenait à cuisiner à la façon japonaise ce que je faisais chaque jour, excepté le mercredi où nous allions au restaurant couscous Chez Bébert. Tous les soirs, il me laissait m’occuper de son bras endommagé et à mesure que je m’améliorerais, il me montrait ces petits détails qui constituaient les techniques. Après cela, j’ai un fort souvenir du Grand Festival d’ouverture de l’Aikikai de Paris, au dojo de la rue Constance, puis de la rencontre avec Odyle à Fréjus.

Dominique Balta, enseignant d’Aikido et assistant de Maître Noro dans les années 60 et 70

Je remercie Maître Noro pour sa réelle générosité. Avec lui j’ai appris à apprendre.

Parfois nos entretiens portaient sur la signification des idéogrammes utilisés par le Budo. Grâce à ces conversations, je me suis orienté vers une compréhension plus juste des termes traditionnels japonais et chinois. Ces termes sont souvent très anciens. J’ai compris que la dénomination juste et précise favorise un savoir-faire précis et qu’une traduction injuste des termes conduit à la déviation des intentions et à la désorientation sur la Voie.

Georges Lamarque shihan, doyen des Instructeur auprès de Maître Noro

Il faut dire que sa présence était vraiment différente à l’époque où nous pratiquions l’Aikido au dojo de la rue Constance, oui vraiment.

La façon dont il transmettait m’a beaucoup travaillé. Il y avait un côté bon enfant ou plutôt le côté souriant et détendu de l’homme qui est heureux de vivre. Le message est là. Il était aussi attentif à ce que chacun ne se prenne pas trop au sérieux mais soit là. Tous ceux qui ont compté et calculé sont passés à côté de quelque chose de fort. C’est la joie et le bonheur qui comptent.

Il m’a confirmé des données que j’avais prises ailleurs mais qui étaient mal installées. Il m’a donné un sens de l’engagement, un sens du respect de moi-même, d’être droit. Son outil c’était le corps. Un formidable purificateur. Il nous prenait, tout dégrossi ou mal dégrossi que nous étions et nous refaçonnait. Il nous faisait développer cet instinct de respect juste je dirais. Pas de simagrées pour rien.

Une fois, il m’a dit, ça ne va pas vous. Je ne m’en rendais pas compte mais je venais au dojo avec mes soucis. Il m’a dit : « Ça ne va pas vous, vos épaules ». Je n’ai jamais oublié cela. Maintenant, je me tiens autrement. C’est curieux ça. Il ne fallait pas le montrer. Il m’a dit que Maître Ueshiba ne montrait jamais et qu’il était pourtant passé par des passages de souffrance importants.

Sa recherche était l’unité. La pureté dans l’unité. Celle d’un engagement total et d’une intention pure. C’est ce qu’il recherchait tout le temps. Il nous a raconté qu’il ne l’avait trouvé qu’une ou deux fois. C’est curieux ça aussi, car cette expérience s’était aussi présentée à son Maître nous a-t-il dit.

Gisèle de Noiret, Instructrice d’Aikido de l’Institut Noro et pilier de la fondation du Kinomichi (témoignage de 2014)

La première fois que j’ai rencontré Maître Noro, j’étais avec Marie-Thérèse et nous sommes venues assister à cette démonstration d’Aikido au Marcadet Palace en 1970. J’étais curieuse alors je suis allée prendre des places. Sur place, Maître Noro est arrivé sur scène. Avec son  grand sourire, il a commencé sa démonstration et a soudainement projeté son partenaire en élevant ses deux bras en l’air! Avec Marie-Thérèse, nous nous sommes tout de suite retournées l’une vers l’autre en nous disant: « Voilà. Il fait l’expiration vers le haut. » A l’époque, tous les arts du mouvement expiraient profondément vers le bas. Pas une n’expirait vers le haut. C’est cela qui nous a accroché.

Daniel Toutain, assistant de Maître Noro dans les années 70, fondateur du Wanomichi

Maître Noro nous enseignait l’essentiel. Il ne s’attardait pas sur les détails techniques. Il nous encourage ainsi à nous ouvrir, à chercher, à nous sentir par nous-mêmes. J’ai en mémoire cette anecdote drôle du jour où j’ai un peu transgressé la règle en allant lui demander un détail technique. Je voulais savoir quel était le rôle précis de chaque main dans l’utilisation du sabre. Il fait mine de réfléchir un instant et me dit: « Encore deux ans de pratique ».

Alain Bonnefoit, Artiste peintre et disciple depuis 1970

Quelque chose me fascinait. C’était de l’ordre de la prestidigitation. Il se tenait debout, les pieds enracinés, tendait son bras puis nous demandait de le plier. Personne n’y arrivait. Il y avait aussi ce moment lorsqu’il nous a demandé de soulever sa jambe. Il faut dire que les hakama du dojo étaient bien entraînés et solides. Lorsque j’essayais sûr eux, je les balançais instantanément. Mais Maître Noro restait soudé au sol. Il nous disait, allez-y, soulevez ma jambe. Alors nous le prenions à tour de rôle par la cheville, mais personne ne le faisais pas bouger. C’était insensé.

Jean Paul Ginet, hakama de Kinomichi

Dans ses premières années à Paris, Maître Noro nous raconta qu’il eut une fois l’occasion d’être invité à dîner par Georges Oshawa, le fondateur de la Macrobiotique. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver sur la table en arrivant une bouteille de whisky de sa marque préférée et une assiette de couscous, qui était devenu à Paris l’un de ses plats favoris. Son hôte s’était enquis auprès d’amis communs de ses préférences alimentaires. Maître Noro ne cacha pas sa déception : il était venu pour découvrir la Macrobiotique, une façon nouvelle et différente de s’alimenter. « Mais non ! lui répondit Georges Oshawa. C’est ça la Macrobiotique : boire et manger ce qu’on aime. »